Contribution : Un contrat de prestation de service mystique ! Par Echriv
Le 30 mai 2025, à Tevragh-Zeina, cette banlieue chic devenue capitale judiciaire de l’ésotérisme contentieux, s’est ouvert un procès d’un genre nouveau, entre shariaa de salon et jurisprudence du marché « Tcheb Tchaba », où le droit pénal flirte avec le paranormal, et où la plaidoirie tutoie le sortilège.
Dans le box, pas de grand argentier tombé de son piédestal, pas de baron de la drogue en mal de rédemption. Non. C’est Cheikh Hamada, marabout patenté, artisan du hajjab, fondateur du label rouqya express halal, qui vient réclamer ses dus auprès d’une cliente présumée récalcitrante : madame Ezza Cheikh Eyah, héritière d’une lignée qadiriya, accusée de « service mystique non soldé et téléphone en mode avion prolongé ».
Le juge, visage impassible, ouvre la séance par une mise en garde métaphysico-juridique :
« Ce verdict n’a pas pour objet de rendre licite ce que Dieu a interdit, ni d’interdire ce qu’Il a rendu licite. C’est juste un arbitrage de ce bas monde, qui ne vous servira au Yawm el Qiyama que si vous êtes sincères. »
Déjà, le décor est posé : la balance de la justice tremble.
Cheikh Hamada, lui, ne se démonte pas. En dialectique fluide, le verbe enflammé, il déroule sa version : « En 2022, le mari d’Ezza m’a sollicité pour une rouqya sur une dame gravement malade dans un pays du Golfe. J’ai posé mes conditions, avance de démarrage oblige : deux moutons, 400.000 MRO, du bazin Getzner et un engagement moral. J’ai fait le taf, pas de sorcellerie ! Rien de haram, que du coranique pur, juré sur ma zawiya. »
Il précise : pas besoin de voyager, le hajjab a été fait « à distance », façon télétravail mystique, et la dame fut guérie, donc mission accomplie.
Mais voilà : paiement suspendu, cliente disparue, téléphone muet. Le Cheikh parle de 200 millions MRO à récupérer, rien que ça. Un contrat de prestation de service mystique, version droit coutumier connecté. Car, dit-il, « moi, je suis professionnel, j’ai jamais eu de souci avec mes clients avant elle. »
La défense : c’est qui ce gars ?
En face, les avocats d’Ezza contestent tout.
Première ligne de défense : « Elle ne le connaît même pas. »
Réponse du Cheikh : « Ah bon ?! Moi j’ai même un morceau de son melehfa pour travailler, vous croyez que je hajjab n’importe qui avec n’importe quoi ? »
Deuxième ligne de feu : un audio diffusé en pleine audience. L’avocat tend l’écouteur au Cheikh, lui demande : « C’est bien la voix d’Ezza ? » Le Cheikh, convaincu, acquiesce.
Ce procès pose une question fondamentale :
Le hajjab peut-il être considéré comme un contrat de service civil à obligation de résultat ?
Si oui, alors Cheikh Hamada est créancier d’un droit exécutoire, du moins sous réserve de preuve de prestation et d’accord.
Mais si non — si le hajjab appartient au domaine de l’invisible — alors le juge peut-il en évaluer la validité sans sortir de son champ de compétence matérielle ?
Ici, le tribunal se trouve dans une zone grise juridique, entre la foi populaire contractuelle et le droit positif désenchanté. On assiste à la collision entre le mystique marchandisé et la rationalité judiciaire.
Tribunal ou zawiya ?
La justice doit-elle trancher des litiges où l’objet même du conflit relève de l’invisible ? Peut-on réclamer 200 millions pour des abracadabra ? Et surtout, comment arbitrer un contrat dont la preuve principale est un morceau de tissu et un audio WhatsApp ?
Le tribunal de Tevragh-Zeina a mis le doigt dans un chaudron explosif, où les règles du Code civil croisent les lois non-écrites de la zawiya.
La première audience s’est bouclée sur un match nul, ambiance huis clos sans prolongation. L’avocat auto-désigné de Cheikh Hamada — maître Sidi El Moctar, le Jacques Vergès des dunes, figure de la plaidoirie nouakchottoise — a tenté un coup de poker judiciaire : pas de mandat écrit, juste du zèle mystico-solidaire. Il traînait dans le coin, entre un kebda grillé et un soblé fumant, quand il a décidé de faire un crochet par le tribunal de Tevragh-Zeina pour prêter main forte au marabout en détresse.
Mais la défense d’Ezza, bien calée dans ses codes, a crié au freestyle procédural : « Pas de mandat, pas de barreau. » Le juge, en robe mais pas en trance, a donc calmé les esprits — humains comme invisibles — et renvoyé l’audience à plus tard, le temps que Hamada produise une procuration en bonne et due forme.
Pendant ce temps, dans l’ombre de la salle, les djinns — eux aussi pris dans la procédure — ont retenu leur souffle en apnée procédurale. Verdict suspendu, transe ajournée.
Lors de la deuxième audience du 25 juin 2025, le camp d’Ezza sort l’artillerie lourde. Une REMONTADA. Non seulement la cliente conteste tout, mais elle aligne un bataillon d’avocats mené par Vadili Ould Rayess, « le Tyson du barreau mauritanien » — invaincu depuis la réforme de 1991.
Les lignes de défense s’empilent :
« Elle ne le connaît pas », dit-on.
« Il n’y a ni écrit, ni signature, ni témoin de l’accord. »
« Un vrai hajjab ne court pas après l’argent. »
« Pourquoi une qadiriya aurait recours à un marabout de Toujounine ? »
Et surtout : « Le gars a nommé son djinn dans un audio ! C’est pas une SCI, c’est un esprit ! »
Cerise sur le tagine : l’avocat plaide que « le hajjab est un acte occulte sans preuve contractuelle et que le droit civil ne statue pas sur les contrats avec l’au-delà ».
Cheikh Hamada, indigné, cite l’adage hassanien :
« Le jour où on prend une dette, on secoue nos longs cheveux ; le jour où faut payer, on grince les dents. »
Mais Vadili enchaîne avec un parallèle foudroyant :
« En 19XX, un juge français à Dakar a reçu plainte d’un homme disant que son fils avait été mangé par un villageois transformé en phacochère. Il a classé. Le droit ne peut pas arbitrer le surnaturel. »
L’un des avocats d’Ezza enfonce le clou :
« Si Cheikh Hamada avait tant de pouvoirs, il ne vivrait pas dans une maison en tôle à Toujounine. Il serait dans une villa à Sahraoui, entouré de djinns climatisés. » Et comme dit l’adage hassanien « Avant de t’amuser à transformer les chèvres des gens en cochonnes marron, commence déjà par changer tes cochonnes marron en chèvres… » Là, t’auras un élevage en or et un compte en banque qui broute les milliards.
Le juge, entre deux soupirs, lit la sentence :
« La plainte est rejetée. Absence de fondement, absence de contrat, absence de réalité juridique démontrée. Ici, c’est le Code civil qui parle. »
Dans la salle : des youyous éclatent dans le camp d’Ezza. Le clan Hamada, décontenancé, range ses preuves en melehfa chigga et en bazin A24 dans un sac plastique. Le tribunal, lui, respire. Du moins, jusqu’au prochain épisode.
En République des croyants et du droit, le juge est parfois sommé de trancher entre ce qui est licite dans les cieux… et ce qui est valable au greffe.
Et à Tevragh-Zeina, même les djinns déposent leurs conclusions au greffe — mais seulement s’ils ont une procuration en bonne et due forme.
Mohamed Echriv Echriv