Au-delà des conditions d’incarcération difficiles d’Ely … cette affaire interroge la gouvernance de la ressource halieutique en Mauritanie
L’affaire Ely Ould Bekar illustre avec acuité la complexité des équilibres entre transparence et souveraineté économique. La Mauritanie, forte d’une zone économique exclusive parmi les plus riches de la région, a établi un dispositif réglementaire précis pour encadrer la pêche, incluant une zone protégée réservée à la pêche artisanale et côtière nationale. Ce cadre repose sur la loi nationale sur la pêche et l’aquaculture, les accords internationaux régissant l’activité des navires étrangers sous licence, l’action des garde-côtes – uniques dans la région à contrôler systématiquement toute entrée de navire – et le suivi scientifique assuré par l’Institut mauritanien de recherche océanographique et des pêches. L’IMROP dispose d’outils de collecte de données à deux niveaux, l’un public et partiel, l’autre plus complet mais à accès restreint, ce qui rend la circulation d’informations techniques parfois asymétrique.
Dans ce contexte, le gouvernement, par la voix du porte-parole El-Houssein Ould Meddou, affirme que les informations publiées par Ely Ould Bekkar sur l’incursion illégale de navires étrangers dans la zone protégée reposaient sur des données entièrement fausses, selon les vérifications opérées par les autorités compétentes. Il précise que les navires cités n’étaient pas en infraction au moment des faits et que les garde-côtes avaient saisi la justice « de manière civilisée » par le biais d’une plainte officielle.
Le ministre de la Pêche, El Fadhil Ould Sidaty, a pour sa part rappelé que les garde-côtes contrôlent toute entrée de navire dans les eaux mauritaniennes, qu’aucun navire ne peut opérer sans autorisation, et que toutes les captures sont suivies dans le cadre d’accords et de licences. Selon lui, « personne ne peut accuser un navire d’un pays donné sans preuve tangible », et toute contribution citoyenne au débat public doit s’appuyer sur des données fiables. Il souligne également que l’IMROP suit quotidiennement la pêche des espèces pélagiques, et que ceux qui n’ont pas accès aux données détaillées peuvent manquer de précision.Il insiste sur le principe : si les accusations se vérifient, le militant sera décoré et encouragé, et les contrevenants sanctionnés ; mais si elles sont infondées, elles constitueront une diffusion de fausses informations engageant sa responsabilité.
L’avocat d’Ely Ould Bekar a indiqué que, lors de la procédure, le juge d’instruction avait confronté son client à un dossier portant sur des navires liés à la pêche au thon, exemptés de l’obligation de déchargement dans les ports mauritaniens et dépourvus d’observateurs nationaux à bord. Ould Bekkar a maintenu que cette situation créait un angle mort dans le contrôle des activités et permettait des infractions non détectées par les autorités.
Le dossier, désormais entre les mains de la justice, pose plusieurs enjeux techniques et politiques. Sur le plan halieutique, la préservation des stocks pélagiques requiert un suivi scientifique rigoureux et des inspections régulières. Sur le plan juridique, la question de la preuve sera déterminante : si le militant dispose de données vérifiables – telles que relevés de position des navires, rapports d’inspection ou preuves photographiques – ses allégations pourront être confirmées et conduire à des sanctions contre les contrevenants. En revanche, l’absence de preuves solides ouvrirait la voie à une qualification de diffusion de fausses informations, avec les conséquences prévues par la loi.
L’affaire révèle également un point sensible : la tension entre l’exigence d’accès à l’information pour la société civile et la protection des informations techniques ou stratégiques que l’État estime devoir réserver à un usage institutionnel. C’est dans cette zone grise que naissent souvent les malentendus et les controverses. Le dénouement de ce dossier dépendra donc de la capacité des parties à confronter leurs données dans un cadre judiciaire impartial, afin de départager ce qui relève de l’alerte citoyenne légitime et ce qui pourrait s’apparenter à une accusation infondée.
Au-delà des conditions d’incarcération difficiles d’Ely, telles que décrites par la défense, cette affaire interroge la gouvernance de la ressource halieutique en Mauritanie : comment associer les citoyens et les militants à sa protection, tout en préservant les intérêts économiques et l’image du pays ? La réponse à cette question, éminemment stratégique, se joue à la fois dans la salle d’audience et dans la capacité des institutions à renforcer la transparence et la fiabilité des informations mises à la disposition du public.
Mohamed Echriv Echriv