Contribution : le Royaume du Semblant – Par Eleya M.
Le Royaume du Semblant
chez-nous, où le sable et le mirage s’étreignent en un tango fiévreux, une alchimie perverse érige l’hypocrisie en vertu suprême. Sous les burnous immaculés de Nouakchott, des barbes taillées au cordeau et des fronts striés d’une ferveur de façade abritent un sanctuaire profané : l’autel où trône, cynique, un veau d’or au visage de billet froissé.
Ces marchands du sacré écoulent la mort en sachets , poudres de Thanatos étiquetées « espérance » ,avec la désinvolture d’un vendeur de dattes..En d’autres termes ces individus vendent la mort avec la même insouciance que s’ils vendaient un fruit ordinaire au marché; ce qui tue est vendu comme ce qui sauve.
Leur piété n’est qu’un décor ; Ils vendraient même la lumière du matin, mettraient le vent du désert en bouteilles et troqueraient l’âme des dunes contre quelques pièces. Leurs lèvres murmurent des versets tandis que leurs âmes comptabilisent les profits, transformant l’agonie des hommes en colonnes de chiffres qu’un vent mauvais disperse vers l’oubli.
Parmi eux, les bâtisseurs de chimères cousent, sur des métiers invisibles, des lignées plus fabuleuses que les contes de Shéhérazade. À force de tisser des ancêtres imaginaires, ils se proclament héritiers du Prophète paix et salut sur lui , au point de déconcerter le Satan Iblis lui-même, médusé par tant d’audace sacrilège.
Ne vous étonnez pas : Dans notre culture, lorsqu’une femme est d’une beauté si éclatante qu’elle en devient envoûtante, on dit qu’Iblis lui-même a élu domicile en elle, tant son charme semble diaboliquement installé.
Les Voiles et les Sortilèges
Les femmes, prêtresses de ce théâtre, drapent leur sagesse dans des mousselines lourdes comme des chaînes. Leurs voix, douces comme une brise d’oasis, enveloppent le Coran de miel. Mais derrière les moucharabiehs, les sourates cèdent la place aux incantations. Ces sirènes du dogme suspendent la foi au portemanteau des apparences dès que le crépuscule s’installe.
Quant aux élites revenus des capitales étrangères, leurs diplômes solennels se dissolvent à l’entrée du foyer. Ministres , Directeurs hauts gradés, ingénieurs et docteurs …… , ils courbent l’échine devant l’autorité des cuisines. La République des lettres s’incline devant le règne des marmites : ici, la sagesse tribale l’emporte sur Platon, et l’épouse commande plus que le sceau ministériel.
Les Enfants-Mirage
Et vous, les martyrs silencieux du Lycée National ! Arrachés à vos villes et villages pour être parachutés dans cet internat à la suite de réformes mal planifiées, vous avez tout enduré. Vous avez dormi dans des dortoirs glacés où la faim léchait les assiettes souillées. Viandes putrides et poissons avariés, localement surnommés yay boy, y fraternisaient avec cafards et mouches ; eaux croupies où chiens, chèvres, ânes et crapauds se désaltéraient furent votre boisson de la fontaine bouchée. Vous avez bu l’humiliation à grandes gorgées, mais de cette pourriture vous avez forgé une armure invisible.
Aujourd’hui, certains parmi vous se pavanent en costumes trois-pièces, montres dorées au poignet. Ils mâchent des salades bio comme pour effacer le souvenir de la vermine. Leurs entrailles, jadis tombeaux d’insectes, sont devenues des forteresses. Si la science osait sonder ces corps marqués, elle y découvrirait peut-être l’antidote universel, l’élixir né du pain moisi et de l’eau fétide.
Pourtant, chaque bouchée raffinée porte l’arrière-goût du passé. Derrière les cravates et les diètes, une mémoire honteuse s’agite. Ils sont comme ces œufs à la coquille intacte mais au contenu pourri. Ils peuvent masquer leur histoire, mais la pourriture de l’âme, leur complexe originel, transpire toujours. Leur costume ne les protège pas des souvenirs d’une vie où le pain rassis était un luxe. Ils sont devenus riches, mais jamais libres, piégés à jamais par la honte de ce qu’ils furent.
Le Bal des Spectres
Dans ce théâtre de l’absurde, l’infamie se pavane sous les plumes de la vertu. Le fonctionnaire intègre est congédié comme un importun, tandis que le voleur parade, auréolé d’un sourire d’ange. Chaque jour malheureusement les poubelles servent de berceaux aux nouveau-nés, la corruption dicte sa morale, et le mensonge officiel s’habille des ors républicains.
Ainsi va la vie , dans ce royaume où le mirage a pris la densité du réel. L’Histoire, patiente, enregistre chaque scène de cette comédie noire. Ses tablettes attendent l’heure inéluctable où tomberont les masques, révélant sous le fard des apparences le visage nu et cruel de la vérité.
Eléya Mohamed
Notes amères d’un vieux professeur