Contribution : la soupe froide des alliances – M.Echriv Echriv
La soupe froide des alliances — chronique d’une cuisine politique à feu doux : quelque part dans un salon politique à Nouakchott, rideaux tirés, fauteuils bien droits, caméras en veille, Biram Dah Abeid, silhouette raide, regarde fixement le néant. À sa droite, les progressistes de la Vallée, héritiers d’une mémoire vive, tambourinant encore les douleurs tues. À sa gauche, les baathistes en smoking idéologique, nostalgiques d’un panarabisme introuvable, figés dans une langue plus sacrée que l’avenir.
Et lui, Biram, au centre du cliché, ne dit rien. Mais tout y est : gêne, tension, solitude politique. Coincé entre deux horizons qui ne se parlent que pour ne pas s’écouter. Ça a des allures de coalition, mais ça sent la compromission. L’huile et le vinaigre dans une vinaigrette impossible, vendue comme potion révolutionnaire.
C’est quoi ce bricolage ? Une alliance tactique contre Gualiate ? Un pacte de survie face à la glaciation du système ? Ou un mariage forcé sous le regard grimaçant de l’opinion ? Une chose est sûre : sur le fond, entre Samba Thiam et Ould Horma, c’est l’abîme. L’un pense en langue de Molière et en trauma, l’autre rêve en arabe de Sibawayh et en nostalgie de Michel Aflak. Ensemble, ils n’ont ni pays commun, ni grammaire de société partagée. Juste un ennemi en face, assez gros pour faire oublier, un instant, qu’ils n’ont jamais marché dans la même direction.
Autre cliché : Ould Mini, ancien chevalier de la tentative manquée du 08 juin 2003, trônant côte à côte avec Ould Jedeyn, ex-chef d’état-major de Maaouiya. L’un voulait faire sauter le régime, l’autre le protégeait. Vingt ans plus tard, les voilà tous deux en smoking de conférence, verbe posé, prêt à « préserver les acquis démocratiques ». On croit rêver.
Dans ce pays, la politique est une scène où les ennemis d’hier deviennent les colistiers d’aujourd’hui, pour récolter ce qu’ils n’ont jamais semé. Le parti « Hassad », qui se veut la moisson des luttes passées, risque fort de ne récolter que le vent. Et pas celui du changement. Non. Le vent tournant des ambitions recyclées, des engagements cousus de fil blanc, des programmes taillés dans l’indignation molle.
Mais à qui la faute ? Peut-être à cette République qui produit des alliances contre nature comme on assemble des meubles bancals : vite montés, vite effondrés. Peut-être à cette scène politique qui confond pluralisme avec patchwork, dialogue avec deals entre notables en friche.
Et pendant ce temps, Biram est toujours là. À la croisée des rancunes, solitaire en terrain miné, flanqué de compagnons qui parlent la bouche pleine d’idéologies mortes. Il avance, en équilibre instable, sur une corde trop fine pour porter tous les passés en guerre.
Ce pays a trop vu de coalitions qui dansaient la samba pour un scrutin et se dispersaient avant les urnes. Trop vu de partis au nom bucolique cacher des marais de compromissions. Trop vu de « Hassad » promettre une récolte, alors que la terre même a été épuisée par la répétition du même.
Alors oui, nous ne sommes pas remis du choc. Ce cliché-là, cette image figée, c’est plus qu’un arrêt : c’est une radiographie de notre infortune politique. Un cliché… au sens clinique du terme.
Source : Mohamed Echriv Echriv