Tindouf est devenu un enfer pour l’Homme. Les principaux indicateurs humanitaires de l’OMS et de l’UNICEF se sont effondrés cette année. Sécurité alimentaire, eau potable, santé, éducation, économie… Un climat de non-retour dans les camps abandonnés à leur triste sort par Alger. Un rapport de l’Union européenne soulignait en 2024 la «totale dépendance à l’aide humanitaire» de Tindouf et l’apport ridicule de l’Algérie depuis 50 ans: «Le gouvernement algérien met gratuitement à disposition le terrain, de l’eau souterraine, du blé, l’électricité et certains services, mais ne les intègre pas (les Sahraouis, NDLR) dans la société algérienne. Les camps sont administrés par le Front Polisario (gouvernement sahraoui en exil) en coordination avec l’UNHCR et d’autres agences de l’ONU.»

En 2025, un autre rapport de l’ONU émanant d’un consortium d’une vingtaine d’organisations humanitaires (5 agences de l’ONU, 13 ONG internationales et 2 ONG algériennes) confirmait «la dégradation continue de la situation humanitaire» et signalait que «les besoins de base sont de moins en moins couverts». Ce rapport estime à «214.401.000 dollars, à décembre 2025», les besoins urgents de Tindouf pour sauver la population, qualifiée par l’ONU de «chroniquement sous-financée». Tout en s’excusant qu’elle peine, de plus en plus, chaque année, à répondre à l’augmentation des besoins de Tindouf, l’ONU a lancé une cagnotte (avec dans le rapport le contact pour envoyer les dons avant décembre 2025!) pour récolter ces sommes cruciales, dans l’indifférence totale d’Alger. À Tindouf, la situation ne cesse de péricliter.

Sécurité alimentaire et nutrition

La sécurité alimentaire s’est gravement détériorée depuis deux ans. Globalement, les distributions de nourriture ont été coupées de 30%, épuisant les stocks de sécurité. Une enquête conjointe du PAM et du HCR citée en 2024 par l’UE révélait que «77% des habitants des camps étaient en situation d’insécurité alimentaire». Près de 80% dépendent de l’aide humanitaire pour manger. La plupart n’a pas les moyens d’acheter de la nourriture supplémentaire. La minorité disposant d’un petit revenu consacre environ 75% de celui-ci à l’alimentation. Les rations alimentaires fournies par l’aide internationale ne couvrent qu’environ 1.500 kcal par jour/personne, bien en deçà des 2.100 kcal recommandées.

D’après l’enquête de l’UNICEF publiée en 2023, le taux de malnutrition aiguë globale (MAG) chez les enfants de moins de 5 ans est monté à 10,7%, en forte hausse par rapport aux 7,6% constatés en 2019. Ce niveau dépasse le seuil d’urgence de l’OMS (≥10%). Le retard de croissance (malnutrition chronique ou stunting) touche 28,8% des enfants, soit plus d’un enfant sur quatre, reflétant les effets d’une sous-alimentation prolongée qui compromet irréversiblement leur développement physique et cognitif. De plus, 54% des enfants de moins de 5 ans souffrent d’anémie causée par les carences en fer, tout comme plus de la moitié des femmes en âge de procréer. L’anémie maternelle accroît les risques de complications à l’accouchement et affecte la santé des nouveau-nés. Ces taux d’anémie– supérieurs à 50%– indiquent une crise nutritionnelle sévère et ont des conséquences graves, notamment pour la santé maternelle et le développement des enfants. Seul un enfant sur trois reçoit une alimentation suffisamment diversifiée pour une croissance saine, toujours selon l’UNICEF. Cette proportion exceptionnellement élevée classe Tindouf parmi les foyers de crise alimentaire les plus aigus au monde.

Accès à l’eau et assainissement

L’accès à l’eau est un défi majeur à Tindouf, dans une région écrasée par des températures qui dépassent les 50°C l’été. Un autre rapport des Nations-unies qui porte sur l’année 2023 dresse un état des lieux accablant. La rare eau des puits locaux est à haute salinité et forte teneur en fluor, entrainant des problèmes dentaires et rénaux dans les camps. L’eau doit être acheminée quotidiennement par camions-citernes. Beaucoup de familles ne reçoivent de l’eau que quelques jours par semaine. Selon la source, «environ 18 litres d’eau potable par personne et par jour sont fournis à Tindouf», un niveau inférieur au minimum humanitaire recommandé de 20 L/jour. Cette quantité doit couvrir tous les usages: boisson, cuisine, hygiène et lessive. En période estivale caniculaire, 18 L/jour sont «à peine suffisants pour éviter la déshydratation et maintenir l’hygiène de base, d’où un risque élevé de maladies hydriques». Les pénuries sporadiques obligent à rationner l’eau, et une partie des gens consomme, obligatoirement, de l’eau non traitée, ce qui expose à des pathogènes, des maladies diarrhéiques, d’hépatites ou de peau.

Les latrines sont sommaires et leur vidange est irrégulière, posant des problèmes d’assainissement, surtout durant les inondations où les eaux stagnantes se mêlent aux eaux usées.

Santé et services médicaux

La santé à Tindouf est un luxe. L’OMS et diverses ONG fournissent de manière aléatoire les médicaments de base dans des bicoques pompeusement appelées «dispensaires». Il existe un seul hôpital dans la ville qui assure les chirurgies simples et la maternité. Pour les autres interventions et diagnostics, il faut montrer patte blanche et être quelqu’un en vue, pour se voir transféré à l’hôpital de Béchar.

La situation sanitaire s’est détériorée selon le HCR après la pandémie sous «l’effet combiné de la malnutrition, du vieillissement de la population et du manque de ressources». L’OMS signale de son côté une recrudescence de maladies liées aux mauvaises conditions de vie: infections respiratoires, diarrhées, dermatoses, diabète et hypertension mal suivis, etc.

Situation économique et moyens de subsistance

Tindouf vit dans une situation de dépendance quasi totale vis-à-vis de l’aide internationale. Selon le HCR (ibidem), «75% des personnes en âge de travailler n’ont pas d’emploi du tout» et parmi elles «seule une minorité (9% selon la définition du BIT) est considérée comme «chômeurs actifs» à la recherche d’un emploi», les autres étant classés comme «inactifs» faute même de marché du travail accessible. L’absence de liberté de circulation hors des camps (sans permis spécial) constitue un frein.

Les seules sources de revenus régulières dans les camps proviennent principalement: 1) des salaires versés par l’administration du Front Polisario aux personnels employés (enseignants, personnel de santé, «police», miliciens armés– mais ces «salaires» sont modestes et le plus souvent versés en vivres plutôt qu’en argent); 2) des allocations ou incitations financières octroyées par les agences humanitaires aux personnes travaillant sur leurs programmes (logistique des distributions, entretien des infrastructures, collecte des déchets, etc.); 3) du petit commerce à l’intérieur des camps: quelques échoppes de nourriture, d’artisanat, de vêtements d’occasion, alimentées par le troc et la revente d’une partie de l’aide; 4) les transferts d’argent de la diaspora installée à l’étranger (Espagne surtout).

Tindouf, une ville de séquestrés

Tindouf est le théâtre silencieux d’une tragédie humaine. Un lieu où les enfants grandissent dans la poussière, où la faim et la soif rythment les journées, où la dignité est suspendue à l’arrivée d’un camion d’aide. Depuis cinquante ans, l’Algérie a fait le choix de transformer Tindouf en une enclave fermée, un no man’s land juridique, où les habitants n’ont aucun droit de circulation, aucun statut légal, aucun accès à une citoyenneté. Ces populations sont des séquestrées. Le terme n’est pas rhétorique: depuis des décennies, des milliers de personnes vivent assignées à résidence dans ces camps contrôlés par le Polisario, sans liberté de mouvement, sans droits fondamentaux garantis, sans horizon politique ou économique. Ils sont les otages d’un conflit instrumentalisé et délibérément prolongé par les autorités algériennes.

Les milliards versés par les bailleurs internationaux au nom de l’aide humanitaire, ainsi que les dizaines de millions injectés chaque année par le régime algérien pour soutenir le Polisario, ne sont jamais parvenus jusqu’aux enfants de Tindouf. Ce n’est ni la faim, ni la soif, ni la santé, ni l’éducation qui en ont bénéficié. Ce sont les circuits parallèles: l’armement, les trafics, les élites corrompues. Plusieurs rapports– notamment ceux de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF)– ont dénoncé le détournement systématique de l’aide humanitaire. Des tonnes de vivres revendues au marché noir algérien ou mauritanien. Des médicaments volatilisés. Des équipements éducatifs introuvables. Et pendant ce temps, les enfants de Tindouf continuent d’apprendre à lire dans des tentes déchirées, sous un soleil implacable. En maintenant ces camps dans un état de précarité organisée, l’Algérie s’est rendue architecte d’un système de relégation humaine.

Tindouf n’est pas un refuge. C’est un piège.

Par Karim Serraj
Source : Le 360